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Le cri de la dénonciation chez Henri DJOMBO dans « Gahi ou l’affaire de l’autochtone »

Par Elvis Brunell NATOU Musicologue (Université Marien Ngouabi) elvis.natou@gmail.com

Résumé

L’œuvre d’un écrivain Africain nous emmène très souvent dans un contexte culturel tantôt ambiguë tantôt ambivalente. L’ambigüité se remarquerait dans la considération de l’œuvre dans une vision interculturelle où son interprétation se trouve confrontée à des principes scientifiques définissant ainsi le style de l’œuvre. Tandis que l’ambivalence serait une sorte de qualité expressive de la dimension culturelle qui associerait l’intelligence et la sagesse africaines dans l’expression de l’œuvre vis-à-vis de la société et de sa culture ou dans la dénonciation des faits culturels de la société. De façon générale, le cri est une expression qui, d’une part exprime le souci, la difficulté, l’accident ou dénonce la terreur, et d’autre part, exprime l’émotion, la joie, ou la satisfaction. La question centrale de cette étude interroge l’objet de la présence du fait musical dans la dénonciation de Henri. De ce questionnement jaillit l’hypothèse que cet écrivain a fait usage de l‘art oratoire qui, d’un scenario à un autre évoque le fait musical, pour faire sa dénonciation. C’est un cri qui revient dans son œuvre dans des proportions culturelles très variables et remarquables. Il en fait l’objet d’un livre et un emploi métaphorique divers. L’objet de cette étude nous emmène à montrer l’usage des habitudes de la culture traditionnelle dans l’expression d’un cadre, notable ou sage Africain. Notre démarche se fonde sur l’observation des faits de la dénonciation du cri d’une part et la manière de sa dénonciation d’autre part.

Mots clés : Cri, dénonciation, musique, culture, tradition

Introduction

M. Henri DJOMBO a édité et publié le livre Gahi ou affaire de l’autochtone le 15 Février 2022. C’est un Roman écrit dans un style assez classique dans la mesure où, il y fait participer trois personnages principaux : Joseph NIAMO (dans le rôle de l’enseignant), Gahi (dans le rôle de la jeune femme autochtone) et du chef Tama (dans le rôle du chef de village). Il a choisi l’espace dans lequel doit se dérouler le récit : « le village Motouba ».

L’objet de notre implication dans l’étude de cette œuvre consiste à mettre en lumière l’usage des faits musicaux dans le style littéraire romanesque en présentant la manière dont l’auteur en a fait l’emploi. C’est pourquoi la question centrale de notre réflexion est formulée ainsi qu’il suit : dans quel contexte culturel l’auteur fait intervenir d’une part, les faits culturels traditionnels dans son œuvre et d’autre part les faits musicaux ? Une deuxième intervient et formulée comme suit : pourquoi Henri DJOMBO a fait intervenir dans sa littérature les faits culturels traditionnels ?

C’est donc à partir de ces deux interrogations que va s’articuler toute l’ensemble de notre réflexion. En effet, selon notre entendement, ce livre se résumerait à l’expression d’un « cri dénonciateur et sensibilisateur émis par l’auteur ». Et cette réflexion se fonde sur deux hypothèses dont la première est celle qui nous emmène à admettre que Henri DJOMBO aurait fait intervenir dans son œuvre, les faits culturels traditionnels dans le contexte de la dénonciation et la sensibilisation des problèmes socioculturels de la société congolaise ; et la deuxième hypothèse vient soutenir l’idée que, Henri aurait fait usage d’un minimum d’orature pour donner à son œuvre, l’identité littéraire Africaine en général et Congolaise en particulier. C’est pour dire que de ce travail, les participants retiendront que la littérature n’a pas de sexe ou de couleur physique pour déterminer sa race ou son espèce mais plutôt la littérature désigne le continent, le pays, la région, la ville, … de son Auteur à travers les éléments de cultures qui l’ornent. Et ces éléments s’introduisent à partir d’un contexte qui entrerait dans la définition du cadre de la production du récit. Afin de réussir à mettre en lumière les points essentiels de nos observations, nous avons divisée en trois parties notre communication : la première partie s’intitule « le cri de la dénonciation », c’est la partie qui nous décrit le pourquoi de ce livre ; la deuxième partie est intitulée « la sensibilisation sur la culture spirituel et traditionnel, compris comme partie qui définit l’identité africaine de l’œuvre d’un pouvoir métaphysique ; et la troisième partie est intitulée « sensibilisation sur l’impact des faits culturels, cas du fait musical ». Cette partie est celle qui nous définit la présence du fait musical dans l’œuvre Gahi ou l’affaire de l’autochtone.

1. Le cri de la dénonciation

Henri DJOMBO dans son cri dénonce le tribalisme, la mauvaise gestion, le trafic d’influence, au moyen de son intellectualité et pourtant, un vétéran Homme d’état partisan d’un pouvoir que l’on qualifierait de semi-tribal et clanique. Il s’agit d’un pouvoir qui présente une stratification clanique selon laquelle, appartenir dans le clan dirigeant est synonyme d’être dans la classe des seigneurs. C’est-à-dire, ceux à qui tout est permis ; ceux qui sont plus forts que les autres et au-dessus de la Loi ; ceux qui se prennent pour ceux qui représentent le Droit.

Nous pouvons remarquer la dénonciation du tribalisme faite par Monsieur Henri NDJOMBO à travers le paragraphe suivant : Depuis la nuit des temps, les politiciens leur avaient inculqué l’idée selon laquelle ils étaient du nord et les autres du Sud du Congo, et que les deux origines étaient irréconciliables. Bien curieusement, les villages étaient eux aussi coupés en deux, en Nord et Sud, ou en Est et Ouest. Pourtant hameaux et villages se situaient soit au Nord, soit au Sud ou encore à l’Ouest de même qu’à l’Est du même pays. Le Nord avait son nord et le Sud son sud, l’Est son Est et l’Ouest son Ouest. On ignorait le centre, le point zéro, qui ne figurait pas parmi les points cardinaux (Cf. p.13).

Pour juger la véracité de cette dénonciation faite par l’Auteur, il suffit de venir habiter à Brazzaville, on se rendra compte qu’elle est divisée en Brazzaville Nord pour les partisans du clan Ngala et de Brazzaville sud pour les partisans du clan Koongo et on oublie le clan Téké au centre pour exprimer ce point zéro. Pour tout dire, cette répartition définit finalement les origines des deux langues véhiculaires de l’espace congolais, adoptées comme langues nationales. La conséquence sociétale fait que Brazzaville-nord soit définie comme la partie de la ville où les langues véhiculaires sont d’origine Ngala, et de Brazzaville-sud, la partie où les langues véhiculaires sont d’origines Koongo. Mais retenons que dans ce paragraphe, Henri dénonce en effet, le principe hérité du colon : « diviser pour mieux régner ». 

Henri DJOMBO lance un cri sous forme d’un fond sonore musical d’un spectacle de compte ou de théâtre, au cours duquel, la mélancolie de la musique de ce fond importerait peu, face à la beauté esthétique des mots et à la rhétorique du discours bien réalisée, et pourtant ce fond sonore participe dans la construction du décor de cette beauté qui serait remarquée. Dans son cri se fait entendre l’écho de la dénonciation de la raison du plus fort, mais sans le faire remarquer de façon absolue.

Nous remarquons que Henri débrief dans un style romanesque très emportant, le comportement des partisans d’un pouvoir dictatorial. Une dictature démesurée portée par des peuples qui se croiraient être les représentants de la race Divine. Une telle inspiration lui aurait traversé les méninges certainement parce qu’il appartient à une zone de l’Afrique où le partage du pouvoir, qui serait une pilule régulatrice de l’égo des uns et l’humilité des autres est d’une part, est absent. Mais il faut aussi le dire d’autre part que le fait d’avoir travaillé dans un système qui jouit d’un pouvoir sans partage lui aurait permis de constater l’altération de la mentalité des uns et des autres.

Dans son cri de dénonciation, il n’oublie pas ce que le peuple de ce village incarnait comme valeur culturelle. C’est pourquoi nous pouvons lire à la page 14 ce qui suit : Ils croyaient toujours qu’un monde heureux était celui de justice et de paix. Mais les populations croisent ce que nous appelons par « le Pouvoir de l’opposé de la vérité » et « la loi de la force dans la parodie judiciaire ». Nous ne sommes pas obligés de consulter le droit coutumier congolais pour montrer combien le système judiciaire coutumier a perdu de nos jours son essence dans quasi toute l’étendue du territoire national. Dans le témoignage de beaucoup de citoyens resonne une sorte de divorce entre les populations et le système juridique placé à leur gouverne. Et donc Henri dans son cri de dénonciation nous décrit la manière dont cela est souvent vécu dans les villages du Congo Brazzaville dans un scénario d’un Chef de village vis-à-vis d’un Enseignant. — Mais je n’ai aucun lien avec votre fille ! répliqua le directeur. — Sale menteur ! dit le chef Tama en fulminant. Vous l’avez forcée à se rendre à votre domicile (Cf. p.44). L’Auteur a en effet mis en lumière la question de la dépravation et de la dégradation des mœurs anthropo-juridiques dans son pays comme nous pouvons le constater dans le paragraphe suivant : — Ah, vous ne pouvez pas répondre ! conclut le chef Tama. Qui ne dit mot consent, alors vous allez épouser Marie, finit-il en lui servant un large sourire, un sourire d’aigle (p.46). 

L’auteur montre que l’autoritarisme ne s’en soucie pas des populations, des écoliers, et non plus de la jeunesse. Il réduit plutôt l’avenir par le maintien ou la perte du pouvoir. On va constater que dans le cas des écoliers de Motouba, malgré des années sans l’école, le chef Tama ne s’en soucia pas de leur situation : Le lendemain, les maîtres se rendirent chez le chef pour plaider la cause de leur directeur. Tama refusa de leur ouvrir ses portes. Après cela, ils réunirent les élèves et leurs parents, leur expliquèrent la situation et la décision qu’ils venaient de prendre : ils allaient fermer l’école. Les enfants pleuraient à chaudes larmes (p.46). Pelotonné dans sa résidence, le chef ignorait que la cité était en berne et la vie des foyers se préparait à l’ébullition. À cause de ses réactions primitives, personne n’osait l’en informer. La population était rassemblée devant chez lui et exigeait à l’unisson la libération du directeur de l’école et la réouverture de l’établissement scolaire. Comme à ses habitudes, le chef Tama vitupéra (p.46). Alors que son commandant-major disait avoir étudié et établi d’ultimes plans qui allaient mettre fin à la guerre contre les Autochtones. On raserait les champs, les campements, les hameaux, afin qu’il n’existât plus d’espace pour eux. D’ailleurs, il les voyait déjà étalés en masse sur les places publiques, pourrir dans leurs refuges et flotter comme des tonneaux vides sur les rivières, nourrir les hyènes de leurs cadavres…(p.55). 

Sachant qu’il n’existe aucun pouvoir qui soit éternel, l’auteur le fait remarquer à travers une sorte de prophétie de la chute, de la fin de l’impunité et de désespoir de tout pouvoir aux abois. On peut le comprendre par ce récit : Il demanda à sa garde de tirer des coups de feu en l’air afin d’éparpiller les manifestants. Cela fait, ceux-ci s’éloignèrent. Ils continuèrent cependant d’occuper les rues et les carrefours. On avait l’impression que les habitants du village n’étaient plus les mêmes, ils étaient comme des zombies, comme des fantômes. Tama comprit que le rapport de forces n’était pas de son côté. Il invita les éléments de sa milice privée à la prudence. Originaire du village, le groupe armé appartenait aux familles concernées et ne voulait pas, à cet instant, commettre d’exactions sur les siens (p.47). Les participants à ce colloque comprendront que dans cette partie de la dénonciation, l’auteur montre que la chute se fera sentir lorsque la désobéissance se remarquera dans les rangs de ses milices, entretemps, l’autoritarisme continuera ou ne fera pas attention à ces réactions.

L’auteur éclair sa pensée sur le déroulement de la chute : la nuit était avancée quand on jeta dans la hutte le corps inanimé du directeur. L’auteur dénonce le traitement cruel, inhumain et dégradant, bref, le non-respect des droits humains, en ces termes : Le dos, les mollets, le ventre et le thorax étaient lacérés par la chicote au poil d’hippopotame et couverts de blessures. Elles saignaient et brûlaient après l’effet du soleil et du piment, dépensés sur son corps. Les entraves lui cisaillaient les poignets et les chevilles, elles le clouaient au sol dans une position insoutenable (p.47). La dénonciation du déroulement de la chute présentée par l’auteur est très explicite dans la mesure où elle touche le côté de la force qui constitue tant bien que mal le foyer du pouvoir de Tama. L’Auteur y fait état d’un désespoir annonciateur de la chute d’une part et de la rage de l’autoritarisme d’autre part : « Peu à peu, les réserves de combattants s’épuisaient. Le doute s’installait, les pensées tournaient sans issue. Les désertions des rangs se faisaient nombreuses. Il devint impossible de recruter de nouvelles forces (p.54) ». L’auteur nous fait remarquer la rage qui très souvent anime un pouvoir aux abois. Ils n’ont pitié pour personne, ils manifestent leur colère sur le peuple. Ces comportements présagent la chute d’un pouvoir nous fait constater l’Auteur. En effet, peu importe les temps, supporter une réalité n’est pas synonyme d’en adopter comme une convenance. L’auteur l’exprime en ces termes : « Un sentiment de révolte anima les jeunes de Motouba. Se sentant de moins en moins sûr de lui, Tama résolut de recruter et d’armer des miliciens venus de lointains horizons. Munis de fusils de chasse, d’armes de guerre et de sabres d’acquisition illégale, ces mercenaires seraient sans pitié et tireraient sur tout ce qui bougerait. Ils tailleraient, pilleraient, violeraient et brûleraient ce qu’ils trouveraient sur leur chemin (p.51) ». 

Au temps opportun de toute société, le pouvoir du mysticisme coalise avec le mystère de la nature et donc de la forêt pour le cas échéant, pour la justice de l’ère liée à l’espace. Tout évolue en fonction du temps. Lorsque la fin du temps du désordre s’annonce, les enjeux de l’ère s’imposeront et le mystère de la spiritualité aura raison sur le pouvoir macabre. On n’est pas surpris que l’auteur l’exprime en ces termes : Tout à coup, un milicien reçut, comme une piqûre de moustique, une flèche au bras. Il la retira bravement et cracha dessus en marmonnant des incantations désordonnées. Un autre connut le même sort. Ces hommes se grattaient comme si leur peau était envahie de puces. Leur figure s’enfla subitement. Leur corps devint flasque. Les campagnes se soldaient de la même façon et ne connaissaient pas de succès. La troupe ne pouvait toujours pas pénétrer plus loin dans la forêt dense, compacte, sombre et truffée d’épines et de flèches mortelles (p.53). Et même le chef Tama ne contrôle plus rien parce qu’il ne comprend plus. L’effet du mystère de l’homme de la forêt paraît très efficace face aux armes sophistiquées des troupes de Tama. Par conséquent, il y a un temps pour toute chose et la fin de toute ère est toujours marquée par un combat s’opposant la vérité de l’ère nouvelle, face aux mensonges de l’ère obsolète. Dans cette situation, même les plus fidèles alliés deviennent des traitres : Même Marie, la fille du chef, sur qui l’on fit peser la responsabilité de la guerre, dit toute la vérité qui condamnait son père. Tama était fou de rage. Il prit la parole : — Messieurs les enquêteurs, je ne mens jamais ! Ces traîtres veulent ma place, ils ne l’auront pas ! C’est une honte que d’avoir détourné l’esprit d’une pauvre fille, celui de ma propre fille, et d’avoir mis dans sa bouche des paroles diaboliques. Je vengerai ce crime (p.56). Henri DJOMBO nous montre qu’un pouvoir ayant agi contrairement à la volonté de son peuple a pour moisson la « huée », donc la honte et la « chute » (p.57). 

L’Auteur nous a fait l’honneur de constater que dans un milieu où la tradition anthropo-juridique d’un peuple est à bas, le Sachant non aligné est un détracteur, un dérangeur, un malveillant, un contrevenant à l’idéologie de la gouvernance. L’Auteur illustre cela dans le scénario suivant : — Voilà ! conclut le chef. Ici, nous étions en paix, jusqu’au jour où ces écervelés sont arrivés. Ils ont pollué les mœurs, ça ne va pas continuer comme cela. Allez informer ces inciviques du sort de leur directeur afin qu’ils s’assagissent à leur tour. La séance est levée ! (p.46). 

Pour comprendre le degré de l’influence démesurée du politique africain en général et congolais en particulier, en guise d’exemple, nous relevons les propos suivants : — Quoi ? Vous prenez seulement acte de mes remarques ? Vous réduisez mes paroles en simples remarques ? Mais, où sommes-nous là ? Hein, monsieur Niamo ? Vous êtes impoli ! conclut le chef Tama (p.43). Et puis, c’est moi qui pose les questions, et non vous ! objecta le chef Tama (p.44). Tama dans son coup, sachant que c’est lui qui pose les questions et qui est le juge suprême et légal du Village, va vouloir faire croire à l’audience que Niamo a voulu violer sa fille. En effet, l’auteur a mis en lumière une habitude judiciaire de la société politique congolaise selon laquelle, pour toute affaire juridique, elle consiste à accuser une autre personne, tandis que les responsables sont dirigeants. Il faut le remarquer dans cette situation où Tama veut imposer à un enseignant de prendre en mariage sa fille Marie, en passant cet enseignant pour un contrevenant pour acte sexuel forcé : Vous l’avez forcée à se rendre à votre domicile. Heureusement qu’elle a hérité de la sagesse et de l’intelligence de son père ! Prudente, elle s’est fait accompagner d’un témoin, d’un grand témoin, du secrétaire du comité ici présent. Après lui avoir manqué de politesse et de galanterie, vous avez cru bon de faire amende honorable, en jurant tout bonnement de l’épouser, n’est-ce pas, monsieur Niamo ? Alors, quand allez-vous le faire ? grogna-t-il ‘p.44).

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